Le retour d'Endemyon Cornaline

Dans les ténèbres d'une vierge de fer...

Lorsque le couvercle du sarcophage s'est refermé sur lui, il a hurlé sa terreur brute, s'est débattu dans une tentative désespérée d'évasion ; il les a maudits, leur a promis des tourments sans fin, une vengeance à nulle autre pareille...

Avant de supplier ses bourreaux masqués avec des larmes dans les yeux...

Les pointes enchantées ont lentement pénétré la chair, brisé les os dans sa poitrine, traversé ses poignets, meurtri son visage.

Pas assez profondément pour le tuer...

Il n'aurait jamais imaginé pouvoir endurer une telle souffrance...

Il a espéré mourir - il aurait dû mourir... mais ses ravisseurs avaient d'autres projets pour lui.

Inlassablement, la vierge de fer accomplit son oeuvre, aspirant le mana d'Endemyon au fur et à mesure que celui-ci le régénère.

La soif... L'épouvantable soif... Elle l'a rendu fou. Sa chair s'est craquelée, tendue sur ses os... S'il survit, Endemyon ne sera plus jamais que l'ombre de ce qu'il était au temps de sa splendeur.

Alors que le supplice dure depuis plusieurs semaines - une éternité - la douleur n'a pas cessé. Elle déchire les nerfs avec une intensité toujours renouvelée. Mais elle est désormais presque supportable. L'esprit d'Endemyon est devenu comme étranger à son corps meutri.

Il flotte, bercé dans une léthargie cotonneuse, maintenu en vie par un lien si ténu qu'un souffle pourrait le briser.

Quatre fois son coeur s'est arrété de battre dans sa poitrine, quatre fois son âme s'est échappée, quatre fois elle a été ramenée par la plus noire des sorcelleries. Ceux qui l'ont enfermé dans cette machine ont veillé à ce qu'il ne puisse pas s'échapper - par quelque moyen que ce soit...

Son esprit erre désormais dans un monde de cauchemars, au-delà du temps et de l'espace, un univers de forêts obscures habitées par des trolls à face d'animaux sauvages, de corridors suintant un sang vicié, hantés par les fantômes de tous ceux qu'il a trahi au cours de sa longue existence - ses maitresses se métamorphosent en démons grimaçants et avides dans la fulgurance de l'orgasme, il se noit dans les abimes d'un océan de ténèbres, il est aspiré dans une boue nauséabonde, tiré vers le bas par les bras décharnés de zombis putréfiés...

D'un rève à l'autre, tout n'est qu'épouvante.

Son corps est déjà brisé - son esprit rompra bientôt...

Son esprit s'est égaré dans une plaine de poussière, couverte de restes de bêtes fantastiques, gigantesques cadavres séchés par un soleil écrasant.

Dans le lointain, une citadelle titanesque de pierre noire, ses murailles formant des angles impossibles. De l'endroit où il se trouve, elle semble en flammes - l'incendie paraît lécher le ciel.

Une voix se propage sur la plaine. Grondante comme l'éclair, profonde comme les cavernes d'Uldaman, plus ancienne que le monde lui-même - impérieuse, elle l'appelle.

- Approche, elfe. Nous t'attendons. Ceux qui régnèrent sur le monde avant la venue de ton espèce, et qui règneront à nouveau lorsqu'elle ne sera plus, ceux-là ont un marché à te proposer...

Lentement, le pas mal assuré, ce qu'il reste d'Endemyon Cornaline prend la direction de la citadelle.

Endemyon ouvrit les yeux alors que le jour renaissait de la nuit. La lumière maladive du soleil de Tirisfal, reconnaissable entre toutes, brillait faiblement à travers la fenètre poussiéreuse.

Quelques chose d'humide et froid glissait sur son visage et la brûlure familière de l'alcool incendiait sa gorge.

- Où.. où suis-je, parvint-il à articuler faiblement.

Le bord d'une timbale lui heurta les dents.

- Buvez ça. Vous revenez de loin. Quand nous vous avons retrouvé, un Putréfié avait entrepris de vous dévorer les intestins, dit le réprouvé qui se trouvait à son chevet.

Endemyon avala doucement. L'alcool brûlait sa gorge reconnaissante. Il s'éveillait peu à peu de son engourdissement, surmontait l'effroyable faiblesse qui l'avait envahi. Il demeura ainsi, immobile, quelques minutes. La mémoire lui revenait laborieusement sous l'impulsion du breuvage frelaté.

Mémoire d'un rêve terrible... Des elfes masqués... La vierge de fer, les pointes fichées dans son corps... Et un cauchemar plus épouvantable encore...

Les Anciens qui régnaient sur le monde avant la venue des Titans...

Un rêve ?

Ils lui avaient parlé. Et leurs voix étaient comme des fouets incandescents qui lacéraient son esprit... Qu'avaient-ils dit ?

Mémoire pulvérisée... Morceaux de rèves éparpillés... Comme une songemme aux milliers de facettes réflétant chacune une image déformée de la réalité...

Qu'avaient-il dit ?

- Soleil-Roi ! sursauta Endemyon, en essayant de s'asseoir.

Sa faiblesse s'abattit d'un coup. La pièce tourbillonna et sa tête heurta quelque chose de mou : l'épaule du réprouvé. Il parvint finalement à retrouver son équilibre et fit quelques pas sous l'oeil curieux du serviteur de Sylvanas.

- Notre prêtre des Ombres a soigné vos blessures, mais les cicatrices ne disparaissent pas... Il vous faudra pour cela vous mettre en quète d'une magie plus puissante. Je ne vous poserai pas de question, mais je donnerais cher pour savoir ce qui vous a mis dans cet état...

Endemyon s'approcha d'un miroir brisé, couvert de poussière cristalisée. Son visage était ravagé par des cicatrices hideuses... Ses doigts parcoururent ses traits déchirés par la torture.

C'est alors qu'il vit la marque dans la paume de sa main. L'horreur l'envahit tout entier alors que les souvenirs affluaient.

La plaine déséchée... la citadelle en flammes... Le monde avant la naissance du temps... La cour des Grands Elémentaires rassemblée dans la grande salle cyclopéenne... Les dieux boursouflés sur leur trône d'onyx, leur corps pulsant au rythme langoureux d'une musique diabolique...

On ne pouvait parler de corruption pour ces êtres abominables qui avaient précédé l'invention de la morale mais ils dégageaient une aura de maléfice indicible, que les mots étaient incappables de décrire, ou même d'approcher. Depuis des éons, ils attendaient que les étoiles s'agencent pour permettre leur retour en Azeroth...

Mais une grande conjonction, condition nécessaire, n'était pas suffisante. Ils avaient besoin de serviteurs pour préparer leur résurection...

Un pacte...

Oh, que ses ancêtres le prennent en pitié, qu'avait-il fait ?

Endemyon eut un violent haut le coeur qui le secoua des pieds à la tête. La bile remonta dans sa gorge, envahit sa bouche et il tomba à genoux, les yeux fixés sur le Signe des Anciens, avant de perdre finalement connaissance.



Ailleurs, quelques part au sud de Tirisfal...

L'elfe masqué avançait dans un décor de cauchemars. Celui que tous appelaient "Maître", avait contemplé bien des horreurs au cours de sa longue existence, et avait commis plus que sa part de crimes épouvantables - mais rien ne pouvait s'approcher su spectacle qu'il contemplait en cet instant. Le Maître était un assassin méthodique et il n'avait que rarement été confronté à une telle sauvagerie...

Dans les couloirs qui menaient aux oubliettes, ce n'était que cadavres démembrés, morceaux de chair sanguinolents écrasés contre les murs, corps méconnaissables, ravagés par quelque chose qui dépassait l'entendement... Trente assassins entrainés, parmi les meilleurs duellistes de ce temps, massacrés, éviscérés, projetés en tous sens comme des poupées, comme s'ils avaient été attaqués par un cyclone de crocs et de griffes...

Quelle chose avait pu commettre une telle atrocité ?

- Le Prince ? demanda le Maître à l'un de ses acolytes.

- Disparu, répondit l'elfe en ravalant sa salive. Le couvercle de la vierge de fer a été arraché de ses gongs. Le Cornaline a probablement été emmené par les bouchers qui ont fait cela... Sans doute venaient-ils pour lui. Comment ont-ils su...

- Nous trouverons, dit le maître en observant les alentours de la vierge de fer.

Le couvercle du sarcophage avait été projeté avec une telle violence qu'il s'était encastré dans l'un des murs... "Videz les lieux de tout ce qui pourrait permettre de remonter jusqu'à nous, puis scellez défintivement l'entrée. Nous n'avons plus rien à faire ici..."

Flèchesoleil, Lunargent, quelques jours plus tard...

Les mains liées derrière le dos, Endemyon fut violemment poussé vers l'avant. Il perdit l'équilibre et s'écroula de tout son long sur le sol, son visage heurtant le sol dallé.

- Endemyon Cornaline, dit le Régent en s'approchant, vous n'imaginez pas la joie que j'éprouve à vous revoir...

Endemyon fit mine de se redresser. Le pied d'un garde lui écrasa le bas du dos. Il serra les machoires, encaissant la douleur.

- Pardonnez mes gardes, mais ils sont là pour veiller à ma sécurité. Vous avez tant de secrets, je ne peux pas prendre le moindre risque. La position est inconfortable, mais avec des gens comme vous, vivant dans le mensonge, on doit se préparer au pire.

- Je ne comprends p... essaya de dire Endemyon avant que la botte de fer d'un garde ne le frappe au visage. Le nez céda sous la méchanceté du coup. Goût du sang dans sa bouche. Il ne broncha pas. Question d'habitude. "Tais-toi, traître !" cria le garde.

- Allons, allons, dit le Régent en levant la main alors que le garde armait son pied pour un deuxième coup. "Endemyon Cornaline est un seigneur de Quel'Thalas, dont la glorieuse ascendance remonte aux Biens nés de la cour d'Azshara. Il diot être traité avec quelques égards. Relevez-le."

Endemyon fut redressé sans ménagement et jeté dans un fauteuil. Le Régent s'assit à quelques mètre de là et poursuivit, le regard sombre.

- Vous m'avez menti, prince. je dirais même que l'on cherche en vain un soupçon de vérité dans le plat de mensonges que vous m'avez servi. Alors que votre famille s'apprétait à vous supplicier pour le meurtre de votre père, je suis intervenu en votre faveur. Je vous ai fait confiance lorsque, preuves à l'appui, vous m'avez affirmé que Gwydion préparait en secret le retour d'anciennes divinités. Le Marteau du Crépuscule, disiez-vous ? Mes gens ont attentivement étudié ce que vous nous avez présenté comme étant le journal personnel de votre père...

Pensiez-vous vraiment que vos prétendues preuves résisteraient à l'analyse des meilleurs arcanistes de Lunargent ? Pensiez-vous vraiment que nous ne serions pas capable de retrouver le faussaire qui vous a aidé à réaliser ce faux ? Pensiez-vous vraiment que l'or que vous lui avez offert lui permettrait de résister à la torture ?

Car la vérité, la voici : votre père avait en effet un lien avec le Marteau, mais il n'était pas leur allié : en réalité, il luttait activement contre eux. Il était leur ennemi... Vous avez espéré que le secret dont il avait entouré ses recherches permettrait de troubler d'éventuels enquéteurs. Mais je dispose des meilleurs espions d'Azeroth...

Je vais vous le demander une dernière fois, prince. et prenez garde à la réponse que vous allez me donner. Si c'est un mensonge qui sort de votre bouche, je vous fait arracher la langue sur l'instant avant de vous faire crucifier sur la porte d'entrée de votre Tour blanche.

Pourquoi avez-vous tué votre père ?

Endemyon demeura muet, les machoires crispées, fixant le Régent. Ses yeux flamboyaient. Il était en manque et sentait pulser le mana dans le corps du Régent..

Il avait tellement soif...

Le monde trouble autours de lui, les voix étouffées...

Difficile de seulement penser dans son état.

- Vous ne répondez pas ? Je pense pour ma part que Gwydion Cornaline soupçonnait que vous étiez trop instable, trop aventurier pour lui succéder. il avait la conviction que vous meneriez votre famille à la ruine s'il vous laissait le remplacer. Sans doute comptait-il l'annoncer officiellement peu de temps avant sa mort. Vous l'avez tué par ambition, parce que vous vouliez ce pouvoir qu'il vous refusait...

Je pourrais vous faire torturer pour vous obliger à avouer, mais en voyant les cicatrices de votre visage, je pense que vous avez suffisamment souffert. Par égard pour votre rang, je vais donc être magnanime.

Je vous bannis de Lunargent pour un siècle entier. Dans dix jours, vous quitterez Quel'thalas et n'y reviendrez plus, à moins que je vous y convoque. Si d'aventure, vous braviez mon autorité et reveniez en secret, je vous ferais enfermer pour le restant de vos jours dans la plus sombre géôle de Flèchesoleil. Suis-je suffisamment clair ?

Endemyon hocha doucement la tête pour montrer qu'il avait compris.

- Les gens de votre Maison partageront votre sort, au moins en partie - nombre d'entre eux ont provoqué de graves troubles à Lunargent au cours des derniers mois. Ils vous accompagneront donc dans votre exil. Les terres et propriétés de la Maison Cornaline vous sont retirées, et seront occupées par la Garde du Soleil jusqu'à nouvel ordre.

Les membres de votre famille, toutefois, se verront infliger une peine moins lourde que la vôtre. Ils pourront revenir à leur guise à Lunargent, mais jamais en groupe supérieur à trois - ils ne pourront pas demeurer à Lunargent plus de deux jours consécutifs.

Leur exil sera levé lorsqu'ils auront prouvé qu'ils méritent mon pardon. Qu'ils fassent leurs preuves en Outreterre et je pourrai reconsidérer ma décision.

Chacun d'entre vous pourra emporter une malle de bagages, et rien de plus. Un intendant veillera au bon déroulement des préparatifs de votre départ.

Avez-vous quelque chose à ajouter, Endemyon ?

Endemyon fit non de la tête. Qu'aurait-il pu ajouter ?

- Vous recevrez sous peu un document officialisant l'exil de votre Maison, ajouta le Régent.

Il se tourna alors vers les gardes. " Raccompagnez-le à la tour Blanche. Qu'il disparaisse de ma vue avant que je ne perde patience..."